Libera la palabra: Festival de la pluma

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On est au centre PEN- Haïti ou la maison des Écrivains. La quatrième Edition du Festival « Libérez la parole », en hommage au journaliste Jean Dominique, s’apprête à débuter. À Thomassin, rue souvenir, il fait froid. Au lieu du festival, tout est éclats de rire, petits câlins, poignées de main et embrassades. Tout est partage de parole. La familiarité est patente et le tête-à-tête ne dit pas encore son nom. Les gens parlent entre eux comme si parler leur était le dernier des actes face à la mort.

L’atmosphère est d’une spéciale commodité. Les musiques qu’on passe : racine, rap français, jazz, etc, ne dépassent pas le décibel. J’ai vu des récupérations, des fleurs de toutes les couleurs, des peintures dont je constate une en face de moi qui, apparemment, est de type Basquiat. Les trempées : rouges passions, randonnées, nuit blanche, chemins acides et filles d’Anjouan, vous disent : « Buvez-moi sans modération aucune. » Les lumières au creux des fleurs font penser à un certain clair-obscur, et là où on est, après avoir escaladé les neuf marches de l’escalier, on n’a l’impression que le ciel n’est pas loin.

L’écrivain Jean-Euphèle Milcé, responsable du centre PEN-Haïti, est le premier à toucher le micro. Il fait brièvement l’inventaire du festival, parle d’une vingtaine d’écrivains d’ici ou d’ailleurs qui gagneront le kiosque de cette activité de liberté de parole. Le quota des livres de publication en créole. Le côté assez spécial et protocolaire de l’activité. Il cite certaines villes de province, telles que les Cayes, Jacmel, Gonaïves et Petit-Goâve, qui auront à libérer les mots. On est le 11 juillet 2015 et, un jour avant, c’était la décennie du kidnapping du journaliste Jacques Roche, le 10 juillet 2005, qui allait occasionner sa mort le 15 juillet de la même année. Milcé invite le slameur Tondreau dans un slam qui s’intitule « Bienvenue ». Dans cette parole slameuse, il dit être celui qui invoquera les quatre saisons pour en avoir de la raison. Le slam pour lui est l’art des sentiments qui brillent dans notre pensée. Et l’écrivain René Philoctète, mort depuis deux décennies, était aussi au rendez-vous avec la voix du poète Coutechève Lavoie Aupont, déclamant son poème titré « Térophagie ».

Quand Jean Dominique se fait témoignage

Jean Dominique était une personne connue, a dit Jean-Euphèle. Sur ces bouts de mots, il invite monsieur Roody ÉDMÉ à témoigner. Ce dernier a été au bureau du journaliste, pas longtemps avant sa mort. Jean n’avait jamais peur de la mort, a-t-il déclaré. Mais il avait plutôt peur de la mort des siens. Il refusait qu’on lui dise comment se comporter, car il n’était plus un petit garçon. Monsieur Roody ÉDMÉE termine pour dire que Jean Dominique était générosité jusqu’à la mort.

« J’ai aimé Jean Léopold Dominique. Je l’ai rencontré soit en 1991, après le retour d’Aristide », a témoigné l’écrivaine Emmelie Prophète. Il était rentré en Haïti pour mettre sur pied la Radio Haïti-Inter. J’avais émission deux fois par semaine, samedi et dimanche. Il aimait ma voix et m’appelait après chaque émission. On échangeait des idées. C’est ainsi que j’ai remarqué qu’on aimait les mêmes choses : la littérature, l’opéra… Notre amour pour Marcel Proust, Daniel Pennac, Maria Callas. J’ai fait référence à tout ça dans mon Roman intitulé « Le reste du temps » J’ai aimé de bout en bout son éditorial. J’aime les gens qui dérangent, et jean Dominique était une personne qui dérangeait. Une personne emblématique. C’était un travailleur de la plume.

Le festival est d’un super menu

De ce samedi 11 juillet au dimanche 19, tout le festival « Libérez la parole » est d’un super menu. Il sera question de spectacles, de projections comme « Le règne de l’impunité, Jacques Roumain ou la passion d’un pays », des conférences sur des thèmes variés, par exemple, « la dictature et ses mémoires, la banalité du mal, le pouvoir de la censure ».

Le paradis, c’est avec les autres

« Le bonheur, c’est ici où l’on est, l’enfer c’est ailleurs, et le paradis c’est avec les autres. » « Perdre son chemin, c’est l’occasion d’emprunter un autre. » Autant de phrases qui sonnent comme un grelot d’or et qui vous frappent le tympan dans le spectacle de slam animé par l’exemplaire slameur de Béo Montaeu et Chebi, qui gratte la guitare avec effervescence. Leurs voix s’accordent pour donner un spectacle où la parole habite tout un espace. Il était au moins six slameurs, pour tuer le temps de silence, à poser leur grain de paroles. Et le public, joyeux comme il n’est pas possible de l’être, était en ébullition. Onze heures sonnent déjà, ça dansait encore dans le lieu. Dans le salon du centre, j’aperçois un petit spectacle de troubadour. Tout un cocktail de plaisir. Pour Béo Monteau, le slam permet un meilleur rapport de l’homme à l’homme et au monde, par où on sort notre malaise d’être… C’était une belle manière de débuter ce festival qui fait vœu de libérer la parole de la danse de la censure.

Le National


Libérez la parole: des travailleurs de la plume à l’honneur

Le festival « Libérez la parole », plate-forme de débat pour une palette de professionnels de la plume, se tiendra encore une fois en Haïti du 12 au 19 juillet 2015. 20 intervenants d’ici et d’ailleurs vont défendre, dans quatre villes du pays, la littérature et promouvoir la liberté d’expression. Pour cette 4e édition, le comité organisateur rend hommage au journaliste Jean Dominique. Entretien avec Jean-Euphèle Milcé, directeur du Centre-Pen Haïti, initiateur principal de l’évènement.

L.N. : Déjà quatre ans que le festival « Libérez la parole » défend la littérature, promeut la liberté d’expression dans un pays écroué dans l’apprentissage de la démocratie. Comment est donc né ce festival qui souffle cette année ses quatre bougies ?

J.E.M. : Le festival Libérez la parole est, depuis 2008, date de sa création à Londres, un festival international de littérature contemporaine. Le PEN International, qui est à la base de ce festival, a voulu développer un réseau international d’évènements littéraires. Chaque festival est ancré dans sa culture locale, mais ses perspectives sont internationales. Des versions de ce festival ont, depuis, eu lieu en Autriche, en Galice, en Jamaïque, au Mexique, au Maroc, en Turquie, en Afrique du Sud et dans de nombreux lieux. Le Festival vise à rassembler des écrivains à travers les cultures pour partager des expériences et explorer des idées, à ouvrir des débats sur la manière dont la littérature peut transformer, influencer et générer des passions, à contribuer au flux de littérature dans le monde par le biais de la traduction et de la promotion de l’écrit, à présenter aux lecteurs les voix tant établies qu’émergentes, à offrir un espace de débat et de dialogue entre les lecteurs et les écrivains.

L.N. : Ce festival, tremplin pour le débat, pour l’échange entre différentes têtes de l’intelligentsia haïtienne, favorise un climat de dialogue avec des intervenants étrangers. Diriez-vous que « Libérez la parole » a, ainsi, dynamisé le travail de la plume ?

J.E.M. : Je ne crois pas que le festival cherche à se légitimer dans ce qui est déjà un acquis. Le travail de la plume est de plus en plus et de mieux en mieux dynamique en Haïti. Le festival est venu apporter un catalogue de contenus et peut-être rappeler que ce pays a déjà été le terrain de combats sanglants pour la liberté d’expression. Le festival rappelle, consolide, alerte et rend hommage. Cependant, le festival est à l’affut de discours expert sur de nouvelles thématiques comme les droits linguistiques, les protocoles de l’expression utilisant les canaux numériques, la vulnérabilité des travailleurs de la plume face au pouvoir économique, etc.

L.N. : Hier, ce fut la dictature : pendant trente ans environ, cette parole a été muselée. L’exil, quand ce n’était pas l’exécution sommaire, fut la porte de sortie pour bon nombre d’opposants au fascisme duvaliériste. Aujourd’hui, on peut s’enorgueillir d’apprendre difficilement la démocratie. Quel doit être, selon vous, le statut de cette parole que toutes les lèvres revendiquent sans relâche sous notre ciel ?

J.E.M : Cette parole doit être permanente. Elle ne sera jamais de trop, n’en déplaise à ceux qui réclament le silence en proposant chaque jour une nouvelle définition de la cacophonie. Cette parole peut être experte, populaire, académique. Mais, au-delà de tout, elle doit être citoyenne, marquée par toutes les possibilités d’appropriation de l’histoire. En même temps, elle rend compte du présent et fixe nos besoins d’avenir même les plus improbables. Nous sommes dans une transition vers la démocratie pour certains, dans une anarchie dangereuse pour d’autres. Peu importe que cette permanence de la parole évalue, dénonce abusivement, elle nous éloigne surtout de nos vieilles menaces de la dictature et ses corolaires deshumanisants.

L.N. : Du 12 au 19 juillet, plusieurs intervenants participeront donc à cet évènement lancé sous le signe de la tolérance et du respect de l’autre. Quatre villes, soit Cayes, Jacmel, Gonaïves, Petit-Goâve et Port-au-Prince accueilleront les différentes activités. Quelle idée se cache derrière le choix de ces quatre villes ?

J.E.M. : Le centre PEN choisit les villes en fonction des propositions qui lui sont faites par des associations culturelles pouvant accueillir l’évènement. Les choix des sites n’ont rien à voir avec la petite mesquinerie. Le Centre cherche à toucher le plus de personnes possible. Le Centre ne connaît qu’une seule contrainte : les moyens. Faut-il rappeler qu’il s’agit d’un petit festival de proximité. Il n’est grand que par la généreuse disponibilité des intervenants qui ont besoin de débattre.

L.N. : Une ville comme Jérémie, réputée pour avoir donné de très bons écrivains, n’est pas choisie. Pourquoi ?

J.E.M : Peut-être parce que les meilleurs écrivains d’Haïti, si jérémiens soient-ils, ont choisi d’émigrer à Montréal, New York ou Pétion-Ville ! Blague à part, je pense à Jean-Robert Léonidas et Evens Wêche, entre autres membres du PEN, qui ont choisi de rentrer chez eux et qui méritent qu’on leur rende visite. Le festival ira à Jérémie et s’y installera.

L.N. : Pour cette édition, le comité organisateur entend rendre hommage à l’illustre Jean Dominique, « journaliste martyr de l’intolérance et de la barbarie ». Qu’est-ce qui a été aux sources de son choix ?

J.E.M : Pour nous, cet hommage relève de l’évidence. Tout comme ceux rendus précédemment à Jacques Stephen Alexis, Gasner Raymond et Marie Vieux-Chauvet.

L.N. : Pouvez-vous, brièvement, brosser le portrait des intervenants étrangers qui arrivent du Canada ?

J.E.M. : Michelle Corbeil. Michelle Corbeil est la directrice générale et artistique du Festival International de la Littérature (FIL). Active dans le milieu littéraire depuis près de trente ans, elle a également été, entre autres, attachée de presse pour les prix littéraires du Gouverneur général du Canada, coordonnatrice de la présence du Québec, invité d’honneur au Salon du livre de Paris en 1999, responsable de l’animation au Salon international du livre de Québec et codirectrice du Studio littéraire de la Place des Arts.

Carole David. Poète, romancière et nouvelliste, Carole David a fait carrière dans l’enseignement collégial. Très engagée dans son milieu, elle a été présidente de la Commission du droit de prêt public (2004-2006) de même que présidente de la Maison de la poésie de Montréal (2006-2010). Elle est depuis 2012 présidente du comité littérature au Conseil des arts de Montréal. Son dernier recueil de poésie, Manuel de poésie à l’intention des jeunes filles (Les Herbes rouges, 2010), a reçu le prix Alain-Grandbois et a été finaliste pour le prix du Gouverneur général.

David Homel. Né à Chicago, David Homel est écrivain et vit à Montréal depuis plus de 30 ans. Auteur de dix romans pour adultes et plus jeunes, réalisateur de documentaires dans l’ancienne Yougoslavie, éditorialiste aux journaux La Presse et La Gazette, traducteur de l’œuvre de Dany Laferrière, il a aussi travaillé avec les jeunes à risque et fait beaucoup de bénévolat au sein de la communauté littéraire. Ses livres ont été traduits dans de nombreuses langues, dont le mandarin, le français et le serbo-croate. Il vient de publier The Fledglings aux éditions Cormorant Books.

Michèle Ouimet. Michèle Ouimet est journaliste à La Presse depuis 1989. Elle a couvert des guerres, des zones dangereuses, des désastres naturels : l’Algérie, le Rwanda, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, Haïti, le Japon pendant le tsunami, l’Égypte pendant la révolution, la guerre en Syrie. Elle a remporté le prix de la chronique au Concours canadien de journalisme et partage avec Agnès Gruda le Prix international pour leur reportage sur les salafistes. En 1994, elle publie un premier roman intitulé La Promesse aux Éditions du Boréal, qui propose une fine réflexion sur la fragilité des idéaux, sur la difficulté de venir en aide aux êtres dont le destin nous émeut, sur l’amitié au féminin.

Stanley Péan. De par sa mère descendant du poète Oswald Durand, Stanley Péan, est né à Port-au-Prince en Haïti et a grandi au Québec dans la région du Saguenay. Il a publié une vingtaine de titres dans différents genres (romans, récits, recueils de nouvelles, essais, livres pour la jeunesse). Mélomane, animateur à la radio, présentateur à la télé, traducteur, scénariste, journaliste et rédacteur en chef du journal Le Libraire, il a été le président de l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) de 2004 à 2010 et fait partie du conseil d’administration du Festival international de la littérature (FIL) depuis 2011.

Michel Vézina. Michel Vézina est écrivain, éditeur et, depuis tout récemment, libraire ambulant. Il a signé treize livres : des romans, des essais, des carnets et des nouvelles. Il est le fondateur des éditions Coups de tête et Tête première où il a publié plus de cent livres. Il a participé à de nombreuses performances littéraires de même qu’à l’écriture de maints spectacles de cirque et de théâtre de rue.

L.N. : Quels sont les différents sites et lieux qui accueilleront l’évènement ?

J.E.M. : Centre Pen-Haïti, IERAH/ISERSS (Institut supérieur d’études et de recherches en sciences sociales, Université Notre-Dame d’Haïti, Bibliothèque nationale d’Haïti, Alliance française des Gonaïves, Placement Wesleyen Petit-Goâve, Centre culturel Anne-Marie Morisset, Alliance française des Cayes, Centre culturel Charles Moravia (CCCM) de Jacmel, et l’Alliance française de Jacmel.

L.N. : Auriez-vous un dernier mot à lâcher au grand public qui semble gagner en qualité et en ampleur?

J.E.M. : Le festival est un ensemble d’évènements ouverts, riches et gratuits.

Le Nouvelliste

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