Haiti: el pintor de lo interior

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Le Nouvelliste (L.N.) : Vous travaillez dans le coin de la ruelle Caravelle là où personne de l’élite picturale haïtienne ne vous connaît sauf, bien sûr, vos collectionneurs et vos amis. Portillo Jn François (P.J­F): Je suis né à Carrefour en 1982 de père et de mère originaires de l’île de La Gonâve. J’ai passé une partie de mon enfance à Carrefour avant que ma famille vienne habiter à Port­auPrince où je vis depuis sans avoir laissé cette ville que je porte encore dans mon cœur et dans mon ventre. Je suis Portillo Jn François, le dernier enfant d’une famille de six enfants, dont quatre filles et deux garçons. L.N. : Venons d’emblée à votre univers pictural, univers marqué par des influences artistiques. P.J­F : Quel qu’il soit, tout artiste est le « fils spirituel » d’un ou de plusieurs créateurs. En littérature, en musique, en peinture ou dans les Portillo Jn François, peintre par vocation autres formes artistiques, celui qui crée une œuvre est le produit des modèles qu’il a lus, entendus, vus ou imités. Je ne crois pas qu’il existe une génération d’écrivains, de peintres ou autres n’ayant pas subi les influences de ses prédécesseurs. Cela n’empêche pas un artiste d’être original s’il connaît les modèles existants. C’est par rapport aux modèles existants qu’il peut se frayer un chemin singulier. Très jeune, je lisais les bandes dessinées telles que Tintin en Amérique, Le Journal de Spirou en Belgique, Manga au Japon, entre autres. C’est là que vient ma passion pour le dessin d’abord avant de m’intéresser ensuite à la peinture en lisant les revues spécialisées et les catalogues d’exposition. J’ai été influencé par Leonard de Vinci. Et c’est surtout en lisant des bribes de l’histoire de la peinture universelle que j’ai découvert: Matisse, Braque, Picasso, Van Gogh, Chagall, Monet, Degas, Renoir, Mondrian, Cézanne et Bauhaus. Chacun d’entre eux a un univers pictural déroutant, mais novateur. J’ai commencé à peindre, autant que je me rappelle, il y a déjà dix­huit ans. Au début, mes travaux picturaux n’étaient pas de bonne qualité. Avec le temps, je m’améliore. Je crois avoir maitrisé, aujourd’hui, parfaitement bien les techniques picturales.

H.J L.N. : Comment la peinture est­elle venue à vous? Et depuis, quel chemin avez­vous parcouru?

P.J.F : J’ai appris la peinture tout seul. Je fais la peinture abstraite, réaliste ou surréaliste. Je travaille le portrait, la récupération, la nature morte et les paysages. Après mes études classiques, je suis parti chercher la méthodologie à l’École nationale des arts (ENARTS) où j’y ai passé quelque trois ans. Entreprendre des études en arts plastiques ne fait pas d’une personne un bon peintre. Il faut avoir la peinture dans le sang. Il faut travailler son œuvre tel un écrivain soucieux de l’usage de chaque mot, de la musicalité et de la prosodie de ses phrases. Je n’ai peintre par vocation pas eu mon diplôme de l’ENARTS. Il me restait quelques cours, car à l’époque, je ressentais plutôt le désir de créer, j’ai dû faire un choix. J’ai décidé donc de me consacrer à la peinture. J’ai fait une exposition à l’Institut français d’Haïti (IFH). J’ai aussi exposé mes œuvres picturales dans certaines écoles de Port­au­Prince. Je vis depuis de ma peinture. Je vends ma peinture à des amis et à des collectionneurs étrangers. Parfois des amis vendent quelques toiles pour moi. Je peins pour raconter le monde. La peinture est en moi. Je suis né avec ça. J’aime la peinture bien ciselée, car tout peintre soucieux d’une œuvre de qualité doit bien polir sa toile. Je ne crois pas dans le génie sous quelque forme que ce soit. Je crois dans le polissage constant d’une œuvre, même quand certes une œuvre n’est jamais finie. Je crois dans la double essence artistique : intuition et réflexion. C’est de là qu’un peintre peut atteindre le sublime. Je n’ai pas choisi d’être peintre. Je suis peintre par nature et par vocation.

L.N. : Le regardeur des toiles de Portillo décèle à première vue une quête de spiritualité. Il y a une recherche d’intériorité quand on approche vos sujets.

P.J­F : Je suis un peintre de la spiritualité. Dieu m’a choisi. La spiritualité est inhérente à ma peinture. Je suis attiré par le sublime. Dans son essai Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier paru en allemand en 1912, Kandinsky défend l’intériorité de l’être et exprime sa quête de la spiritualité de la manière suivante : « Lorsque la religion, la science et la morale sont ébranlées et lorsque leurs appuis extérieurs menacent de s’écrouler, l’homme détourne ses regards des contingences externes et les ramène sur lui­même; la fonction de la peinture consiste alors à exprimer le monde intérieur de l’individu, autrement dit son monde spirituel ». C’est ce que je fais en peignant mes tableaux.

L.N. : La matière colorée de votre toile distille une émotion, elle agit sur la rétine du regardeur. De l’émotion qui souligne des périodes de votre vie, vote humeur prend corps sur la surface.

P.J­F : En peinture, deux catégories de couleurs peuvent s’affronter dans une œuvre picturale : les couleurs lumineuses et les couleurs intellectuelles. Je me situe dans la première catégorie, car c’est ce que je fais dans la vie comme geste pictural. Je suis conscient de ce que je fais avec la matière picturale, c’est­à­dire la manière dont je joue avec les couleurs pour créer l’émotion. Kandinsky croit que toute œuvre naît d’une émotion et se traduit en sentiment chez l’artiste. Je fais le mariage des couleurs pour intensifier la lumière dans mes tableaux, donner sens et forme à mon écriture picturale. Rappelons que sans la lumière, la peinture n’existe pas. J’exprime à travers les couleurs ce que je ressens au plus profond de moi­même. Je travaille la forme. C’est sûr que le choix de la forme est déterminé par la nécessité intérieure. J’ai beaucoup de couleurs dans mes toiles. C’est une période de ma vie, car parfois ma vie est multicolore. J’entends, par le mariage des couleurs, exprimer mon intériorité. Moi, j’éprouve personnellement le besoin, par l’évidente sobriété de mes tableaux, de traduire mes sentiments dans la matière picturale. Chagall disait que « toute notre vie est comme cela, un hasard, un cadeau ». Mais attention, la vie ne fait pas de cadeau aux pauvres, nous devrions travailler pour tailler une place au soleil. Je suis un enfant de mon époque. Disons que mon époque est parfois multicolore, car elle la résultante de toute sorte de maladies, de souffrances, de catastrophes, de mensonges. Il y a des époques où les artistes expriment des idées à la fois dans leur tableau et la matière picturale. C’est ce que Véronèse a su faire par la description

Publicado en Le Nouvelliste
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