Antonio Joseph, el artista de la armonía

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Antonio Joseph nous a quittés samedi dernier, le 7 mai 2016. Il venait de fêter ses 95 ans. Dans la sérénité qu’amène cet âge et avant le grand départ, il a sûrement vu, avec satisfaction, sa vie de peintre, cette carrière d’environ 70 ans, marquée, dès le début, par la décision d’absorber au mieux tous les enseignements, toutes les influences, mais aussi par la résolution de ne jamais se répéter lui­même, de ne jamais s’installer. Son œuvre en témoigne. C’est un ensemble où est évidente la quête constante de l’homme pour la perfection, et la recherche de l’artiste pour l’expression maximale de ses sentiments profonds. Il y a certes, à la base de tout cela, un talent extraordinaire que devaient révéler ses toutes premières aquarelles qu’il apportait timidement au Centre d’Art, à son fondateur, l’Américain Dewitt Peters. Dès leur rencontre en 1944 et jusqu’à la fin de sa vie, Peters fut pour Antonio un ami, un père.

Antonio Joseph était, déjà à ses débuts, un coloriste et ses harmonies étonnaient. L’harmonie était chez lui un sens inné. Il l’a pratiquée d’abord en musique, et c’est sans doute attiré par la couleur qu’il s’est tourné vers la peinture. Cette couleur, il l’avait très tôt découverte dans les illustrations de ces publications mexicaines dont la lecture emplissait ses loisirs de jeune hispanophone, né en République dominicaine. Il s’essaya alors à la représentation mais comprit bien vite qu’il s’agissait là d’un métier, et il voulut l’apprendre. Son tempérament perfectionniste ne lui permettait jamais d’aborder les arts plastiques en amateur.

Il a été le premier à s’inscrire au Centre d’Art, lors de sa fondation en 1944. Peters lui enseignait les bases de l’aquarelle, Lucien Price et Géo Remponeau, celles du dessin. Il a peint des paysages lors de sorties organisées par le Centre mais ses thèmes favoris ont été la vie et l’environnement des gens modestes.

Sa percée dans le monde artistique haïtien fut spectaculaire. Sa première exposition au Centre d’Art, en mars 1945, reçut le meilleur accueil. Ce grand succès fut pour lui encourageant, stimulant. Il travaillait avec sérieux et son évolution progressive a été exemplaire. Il affrontait régulièrement la critique pour mieux construire son œuvre. Ceux qui le connaissaient ont dit que jamais ils n’ont vu homme plus ouvert. Chaque exposition révélait une étape d’un trajet marqué par des interrogations, des doutes. Et chaque fois, sa peinture étonnait. Sa palette se faisait puissante, ses formes d’une intensité plus marquée. Seul ne changeait son choix de peindre les humbles.

Pour progresser, il a voulu s’essayer à d’autres surfaces, à des dimensions plus grandes. Il a travaillé alors avec Pierre Bourdelle (Paris 1901 ­ Genève, Suisse 1966) à un projet de peinture murale, à l’occasion de la célébration du Bicentenaire de Port­au­Prince. Il s’est heurté littéralement à un mur. Son aisance, il ne l’avait qu’en travaillant l’aquarelle. Il attendra alors la venue en Haïti de Paul Keene, pour se lancer avec lui dans la pratique des techniques de la caséine. Entretemps, sûr d’avoir trouvé son métier, il avait abandonné ses activités de tailleur et aussi la sécurité relative qu’elle lui apportait. Il avait osé, il avait risqué, il avait gagné. Suite à son exposition, en 1953, avec Paul Keene, il reçoit une bourse de la John Simon Guggenheim Memorial Foundation. Ce fut la confirmation de son talent créateur et la reconnaissance de ses capacités dans le domaine de la recherche.

Aux États­Unis, il s’applique au travail avec une ferveur encore plus grande. Il séjourne à New York et expose dans deux universités : Skidmore et Williams Colleqe. Il peint New York, et ses impressions de la grande ville. Il est invité par le critique d’art José Gomez Sicré à exposer, en juin 1954, à la Pan American Union à Washington (aujourd’hui the Art Museum of the Americas). Cette exposition «Impression of the U.S.A.» a été favorablement commentée par la presse américaine. Dans un article du Washington Post, signé Leslie Judd Portner, daté du Ier juillet 1954, sa maîtrise des techniques et de la composition sont reconnues, mais, plus encore, on reconnaît que sa peinture est restée essentiellement haïtienne, en dépit du sujet traité. Il a vu les gratte­ciels comme des masses simples, des cubes empilés les uns sur les autres. Les figures humaines sont placées dans un espace dont la profondeur est définie, non pas par la perspective traditionnelle, mais plutôt par une juxtaposition de plans aux couleurs vives, utilisées judicieusement pour renforcer la composition.

Les commentaires n’étaient pas tous toujours élogieux. S’il est vrai que son art avait mûri au contact des meilleurs peintres américains, il apparaissait quelque peu confus. Cette confusion fut sans doute induite par celle créée dans son esprit par la grande ville dont le rythme était tellement différent de celui qu’il vivait dans sa terre natale. C’est donc un Antonio Joseph nouveau qui s’est présenté au Centre d’Art, en décembre 1955. C’était la cinquième fois que les murs de cette institution, qui avait vu éclore son talent, recevait ses œuvres picturales

On commençait à le compter parmi les plus grands et on parlait de lui comme d’un atout important pour la peinture haïtienne non­primitive. Parce qu’il faut le dire : à l’époque, il y avait les «primitifs» qui remportaient tous les suffrages sur la scène internationale. Leur succès a été décourageant pour plus d’un. Antonio Joseph n’en avait cure. Il les regardait travailler au Centre, les encourageait même, mais poursuivait sans relâche son idéal. Un an plus tard, il exposait de nouveau au Centre et il se révélait comme un peintre de plus en plus subjectif. On découvrait à cette occasion une palette nouvelle, faite de mauves et de verts tout à fait inhabituels ainsi qu’une délicatesse jusqu’ici jamais atteinte. Le succès de cette exposition fut d’autant plus grand qu’Allen Edward Artel, à cette occasion, a fait l’acquisition de deux œuvres pour la collection du Musée d’Art Moderne de San Francisco.

On pourrait croire, à l’époque que, maître de son art, couvert d’honneurs, il se serait perdu dans la gloire, mais non, pas Antonio Joseph. Il a continué son travail ardu. Cette constance lui a valu, fait sans précédent en Haïti, de bénéficier, une seconde fois, d’une bourse de la Guggenheim Foundation. Dès lors, il évacuait de son œuvre le pittoresque pour tenter d’atteindre, dans celle­ci, une authentique valeur humaine.

En 1959, il exposait de nouveau au Centre d’Art, puis à la Janet Nessler Gallery de New York. C’est à Pierre Monosiet que revenait alors l’honneur de le présenter : «Antonio Joseph est un peintre honnête, devait­il écrire, un homme raffiné, dans son approche de la peinture et de la vie même. Il possède les qualités humaines nécessaires pour devenir un artiste hors du commun, profondément ancré dans les réalités de son pays et dont le message pourtant transcende le local pour atteindre à l’universel.

Publicado en Le Nouvelliste
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