Los artistas exiliados

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Il existe quelques publications qui présentent des Haïtiens vivant hors de leur terre natale et qui pratiquent une discipline artistique : peinture, sculpture ou dessin. Parmi eux, il y en a qui ne sont pas des professionnels au sens strict du terme. Pour l’être, il faut avoir eu une formation professionnelle, avoir des œuvres régulièrement montrées en public dans des expositions et/ou dans des publications (revues et catalogues…), être sélectionné par un jury pour une participation à des manifestations (salons, biennales…) locales ou internationales, enfin, avoir des œuvres mises en marché par un diffuseur, généralement une galerie de renom. Mais qu’importe.

De tels ouvrages, tous illustrés, permettent de se faire une idée des œuvres produites à l’extérieur. On peut y mesurer l’influence du milieu dans des tentatives de s’approprier un langage «moderne» qui s’éloigne à différents degrés de la figuration. Mais l’ensemble reste généralement traditionnel et est révélateur de l’impact du mouvement indigéniste sur la création de ces images. Ce souci du local, du folklore parfois, peut­être vu aussi comme l’expression d’un sentiment de nostalgie qu’il n’est pas rare de voir entretenu dans les communautés haïtiennes. Cette nostalgie est cependant peu ou pas avouée lorsqu’on lit les textes qui accompagnent les images et dont le but est de donner une idée du cheminement des artistes, du développement de leur recherche esthétique… .

En réalité, les artistes haïtiens vivant à l’étranger sont bien plus nombreux que ceux que présentent ces albums qui d’ailleurs ne prétendent pas être exhaustifs. Il y en a – ils sont rares ­ qui ont réussi à se faire un nom dans leur pays d’adoption et même internationalement. Il y en a, comme Jean Michel Basquiat, que l’on insiste à classer parmi les artistes haïtiens. Bien sûr, c’est une tête d’affiche qui fait venir les foules dans les grandes expositions (la semaine dernière Le Figaro titrait : Basquiat, le jeune peintre haïtien décédé, décroche un nouveau record à 57,3 M$ à New York). Mais à côté de ceux­là, hélas, il y en a qui ont eu une carrière professionnelle en Haïti et qui, ne pouvant pas, à la fois, faire face aux exigences du milieu et aux nécessités de la vie quotidienne, ont malheureusement vu leur talent se perdre dans des activités autres. Mais pourquoi ceux­là sont­ils partis?

Pour tenter de répondre à cette question, nous pouvons reprendre la métaphore de Davertige : «Par besoin d’oxygène». Cette petite phrase peut se lire comme un refus de l’étouffement que provoquait une situation politique particulière. Le besoin d’oxygène dont parlait Davertige pourrait aussi être dû aux contraintes qui résultent du fait que le rôle de l’artiste haïtien dans la société n’a jamais été défini. En effet, si nous remontons dans le temps, nous trouvons le rejet subi par les indigénistes qui, des années après, ont vu que leurs options étaient devenues la norme. On peut se demander, n’était l’opinion d’étrangers, que serait devenue la peinture dite primitive rejetée au départ par le public consommateur d’art en Haïti? Et puis, il y a eu l’hostilité contre la peinture du Foyer et ce refus de l’abstraction qui persiste encore et qui est alimenté par l’éternelle question d’identité. On s’est alors attaché au «joli» sans comprendre que, derrière ces images, certaines muettes, se cachent une certaine angoisse, une angoisse certaine. De telles constatations ne ramènent­elles pas à une réflexion indispensable sur l’éducation artistique de notre public et donc son rapport aux arts?

Des artistes haïtiens sont partis, sans doute, espérant trouver la liberté qu’ils n’avaient pas chez eux. Mais celle­ci existe­elle vraiment? Si oui, où? Alors, ne serait­elle pas qu’un sentiment? Repensons au cas de Basquiat, lui­même, victime du système. Par ailleurs, signalons que, récemment à Londres, dans une exposition sur «LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DES ARTISTES», une œuvre a été enlevée. Le prétexte «politiquement correct» qui fut avancé était que ce n’est pas de l’art. Mais l’art, alors, c’est quoi exactement?

Je vous laisse avec ces questions. On se retrouvera en septembre.

Publicado en Le Nouvelliste
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